Mémoires de Léonard

Amour de la musique, délice d'entendre la musique de Jean-Sébastien Bach sur un des rares orgues de Creuse ... La règle de grammaire que réménore le titre de cette balade est le prétexte de faire le tour des communes de Creuse possédant un orgue à tuyaux, instrument-roi capable de transformer les délices du vent en de brillantes toccatas et délicates fugues.

L'image de fond de page est la première page de la partition du Prélude et Fugue en Mi mineur de J-S.Bach que vous pouvez écouter en cliquant ici (BWV 548)

Un peu de technique ...

Cosole Silbermann (St Thomas de Strasbourg)Un orgue comprend en général plusieurs claviers; les claviers portent des noms particuliers: Positif, Grand Orgue, Récit, Echo, Bombarde, Pédale, ... actionnant diverses parties de l'instrument. Les claviers peuvent être accouplés entre eux par des "tirasses". Les claviers sont regroupés dans une "console" généralement placée face à l'instrument ou dos au buffet. Le "buffet" est l'ébénisterie ouvragée qui regroupe les différents tuyaux.
Les tuyaux sont posés sur un "sommier" qui contient toute la mécanique (ressorts, soupapes, tirasses, ...) et assure une alimentation équilibrée de l'air fourni par des soufflets électriques. Les tuyaux sont regroupés en "registres", par sonorités; les "tirasses" de registre, placées de chaque côté de la console, permettent d'activer un jeu complet de tuyaux de même sonorité.

Les claviers sont reliés au sommier par un système de "traction" soit mécanique, soit pneumatique, électro-pneumatique, ou autres variantes. Dans la traction mécanique, un astucieux système de tiges de bois (vergettes, abrégés, rouleaux, joncs, équerres) ouvre la soupape délivrant l'air au tuyau. Avec le système pneumatique, l'ouverture des soupapes est assistée par un relais pneumatique (machine de Baker). Enfin, le relais pneumatique peut lui-même être commandé par un électro-aimant. Le traction donne une coloration très différente à la musique: la musique baroque (XVIIème-XVIIIème) s'accommode plus d'une traction mécanique, les tractions pneumatiques et électro-pneumatiques sont plus adaptées au répertoire symphonique romantique (XIXème). Toutefois, avec le renouveau de la facture d'orgue, les nouveaux instruments bénéficient, pour la plupart, d'une traction mécanique qui permet à l'organiste de "sentir" physiquement son instrument et de moduler l'attaque des notes.

Les diverses sonorités portent le nom de "jeux": Flûte, Bourdon, Trompette, Gambe, Bombarde, Cromorne, Nasard, Prestant, etc. Les sonorités sont créées par la matière des tuyaux (bois ou métal), par le mode de création du son: "bouche" (jeux de "fonds") ou "hanche" (jeux de "hanches"), par la forme des tuyaux, par le décalage harmonique ("mutations" en quinte, tierce), par l'assemblage de plusieurs rangs simultanés de tuyaux accordés sur la tonale, l'octave, la quinte, la tierce, ... Ces assemblages à II, III, IV ou V rangs portent le nom de "mixtures": jeux de Plein-Jeu, Cornet, Cymbale, Fourniture, ...

Tous les tuyaux sont cachés dans le buffet, le seul jeu que l'on voit est le jeu de façade, c'est pourquoi il est appelé "Montre"; les tuyaux placés à l'horizontal, en éventail au dessus de la console, sont appelés "Chamade".

Les jeux se mesurent en pieds (0,3243 m) et s'étagent de 1 à 32 pieds (1', 2', 4', 8', 16', 32'). Le tuyau de la note la plus grave d'une flûte de 8' mesure donc environ 2m64; et le plus petit environ 4 cm. Quand le tuyau est bouché la longueur est divisée par deux; un bourdon de 8' mesure donc environ 1m32. Les jeux intermédiaires dits "mutations": quinte (5' 1/3, 2' 2/3), tierce (3' 1/5, 1' 3/5) sont coupés à des longueurs fractionnaires. Le plus petit tuyau, quand il existe, mesure à peine un demi-centimètre.

Le sons les plus graves (16 Hz) et les plus élevés (16.000 Hz) que peut produire un orgue sont quasiment inaudibles à l'oreille humaine; associés à d'autres jeux, ils ne sont là que pour enrichir la richesse harmonique de l'instrument.

Dom Bedos: Interieur d'un orgue de 16 piedsUn orgue est construit et entretenu par un "facteur". Ce métier, cet art sublime, allie le dessin, l'acoustique, la mécanique, le travail du bois et celui du métal, la musique et l'ébénisterie. Dans l'histoire de l'orgue, certains noms de facteurs restent des légendes vivantes.

Au XVIIème et XVIIIème siècles, les pères fondateurs de l'école dite "française" se nomment François Thierry, François-Henri Clicquot ou Dom François Bedos de Selles (son ouvrage "L'art du Facteur d'orgues" publié en 1778 fait toujours autorité). L'école "allemande" est présente en Alsace avec la famille Silbermann, (André puis son fils Jean-André en France, le frère Gottfried et Jean-Daniel, le neveu, en Saxe).
Au XIXème, Aristide Cavaillé-Coll, le créateur de l'orgue "romantique", renouvela la facture traditionnelle; il bouscula le plan sonore, la disposition des claviers, la répartition du vent dans les sommiers. En introduisant le levier pneumatique, en supprimant les "mixtures", en introduisant des sonorités nouvelles, il adapta l'orgue à l'esthétique symphonique bien en rapport avec les goûts de l'époque. L'instrument-roi s'en trouvait réduit à un instrument d'orchestre. A. Cavaillé-Coll fut, hélas, parfois, à la restauration des orgues historiques, ce que fut Viollet-Leduc à celle des monuments !
Orgue de Pontaumur Au XXème siècle, Victor Gonzalès, ancien élève de Cavaillé-Coll, renoua avec la facture d'orgue traditionnnelle et donna naissance à une riche école française de facteurs réputés dans le monde entier. L'oeuvre et l'influence de V. Gonzalès furent aussi importantes pour l'orgue que le furent celles de Jean Lurçat pour la tapisserie.

Le facteur François Delhumeau réside en Creuse à La Chaussade (canton de Bellegarde). Il a construit, entre autres, l'orgue de l'église catholique de Berkeley en Californie, l'orgue de choeur de la Trinitatiskirche à Berlin Charlottenburg, un orgue-coffre pour la Grande Ecurie et la Chambre du Roy dirigé par Jean-Claude Malgoire, l'orgue Bach de Pontaumur (photo ci-contre) inauguré en février 2004.
Depuis 1984, il est le facteur d'orgue attitré du festival de la Chaise-Dieu (Haute-Loire).

 

Après ce court exposé sur l'art organistique, il est temps de se précipiter pour rendre visite aux rares orgues de Creuse.

Bourganeuf. C'est le plus ancien de tous. Construit entre 1820 et 1830, il est à traction mécanique. Il est équipé d'un "Positif" (petit buffet inexpressif séparé du buffet principal) placé dans le dos de l'organiste. Sa reconstruction par Jean-Jacques Mounier s'est achevée en 2000.
Sa sonorité et son harmonisation font que cet instrument est principalement adapté à la musique d'orgue de l'école française, allant du XVIème jusqu'à la moitié du XIXème siècle.
L'Association des Amis de l'Orgue de Bourganeuf organise des activités autour de l'orgue.

Grand Orgue

Positif de dos

Pédale

Montre 8
Bourdon 8
Prestant 4
Flûte 4
Doublette 2
Fourniture III
Cornet III
Trompette 8
Clairon 4

Bourdon 8
Montre 4
Dessus de Flûte 8
Quarte 2
Nasard 2 2/3
Cromorne 8

Flûte 8
Trompette 8

Aubusson. Construit entre 1980 et 1982 par Gérard Guillemin, cet instrument est le plus récent de Creuse; en 2004, il a été totalement révisé. Cet orgue à traction mécanique possède 27 jeux et pas moins de 1800 tuyaux. L'imposant instrument présente la particularité de ne pas être disposé sur une tribune, mais placé au niveau du sol.
Harmonisé à la façon des orgues Silbermann si célèbres en Alsace et en Allemagne, ce magnifique instrument est particulièrement bien adapté à l'oeuvre de J-S. Bach, G-P. Telemann ou de D. Buxtehude.
Chaque été, un stage d'orgue est organisé par l'Association des Amis de l'Orgue d'Aubusson.

Grand Orgue

Oberwerk

Pédale

Quintadena 16
Principal 8
Rohrflöte 8
Quintadena 8
Octave 8
Quinte 2 2/3
Octave 2
Mixture V
Trompette 8
Spitzflöte 4

Germshorm 8
Voix humaine 8
Gedackt 8
Rohrflöte 4
Nasard 2 2/3
Octave 2
Quinte 1 1/3
Sifflet 1
Sesquialtera II
Cymbal III
Bärpfeife 8

Soubasse 16
Octavbass 8
Octavbass 4
Posaunenbass 4
Trompette basse 8
Cornet 2

Rohrflöte: Flûte à cheminée - Spitzflöte: Flûte à fuseau - Posaunen: Bombarde - Gedackt: Bourdon - Bärpfeife: Sifflement d'ours

La Souterraine. Cet orgue a été réalisé par le facteur d'orgues dijonnais Jean-Baptiste Ghys en 1887, pour la chapelle du Couvent du Sauveur. La console est séparée du buffet; l'organiste tourne le dos à l'instrument. Cette disposition est rendu possible par une traction à leviers pneumatiques.

De par sa composition basée sur des jeux de fonds, cet orgue est plutôt destiné à la musique du XIXème. Hélas, l'entretien de l'orgue n'est pas fait régulièrement et il se dégrade rapidement.

Grand Orgue

Récit

Pédale

Montre 8
Bourdon 16
Bourdon 8
Flûte harmonique 8
Prestant 4

Bourdon 8
Gambe 8
Trompette 8
Basson-Hautbois 8
Voix humaine 8

Bourdon 16
Bourdon 8

 

Guéret. L'instrument d'orgine a été construit entre 1850 et 1852 par Jean-Joseph Stein (deux claviers et un pédalier). Reconstruit entre 1981 et 1984, puis enrichi en 1999 par Jean-Loup Boisseau et Bertrand Cattiaux (Notre-Dame de Paris, Cathédrale de Poitiers, ...), l'orgue de Guéret est le seul en Creuse à disposer de trois claviers et d'un jeu de trompettes en chamade. Comme Bourganeuf, cet orgue possède un Positif de dos. Dans sa nouvelle composition, il dispose de 28 jeux
Cet instrument est typique de l'école française des XVIIème et XVIIIème siècles; mais sa composition permet, toutefois, un répertoire plus large.
Les manifestations qui entourent cet instrument sont parrainées par l'Association des Amis de l'Orgue de Guéret.

Positif de dos

Grand Orgue

Récit

Pédale

Bourdon 8
Montre 4
Flûte à cheninée 4
Nazard 2 2/3
Doublette 2
Tierce 1 3/5
Plein-Jeu IV
Dessus de Cromorne 8

Montre 8
Bourdon 8
Prestant 4
Quarte 2
Fourniture I-VIII
Cymbale V
*Cornet III
Trompette 8
Clairon 4
Voix humaine 8
Chamade 8

Bourdon 8
Flûte 4
Flûte 2
Cornet II
Hautbois 8

Soubasse 16
Flûte 8
Trompette 8
*Clairon 4

* ajouté en 1999.

Felletin. L'orgue a été construit entre 1855 et 1865 par la manufacture de l'abbé Clergeau de Paris; il fut restauré par Gérald Guillemin en 1984.
L'orgue ne dispose que d'un seul clavier et d'un pédalier de 24 notes. La console est placée au dos du buffet. Le clavier est transposable et divisable; il peut glisser vers la droite ou la gauche pour transposer la mélodie de quelques demi-tons (65 touches pour 54 notes). Il permet également d'appeler des jeux uniquement sur la moitié des touches pour simuler un second clavier.
Il est ainsi possible d'attaquer le répertoire musical s'étendant de la Renaissance au XIXème siècle, sans trop de restrictions.

Grand Orgue

Cornet IV
Montre 8
Bourdon 8
Prestant 4
Flûte 8
Nazard 2 2/3
Doublette 2
Clairon/Hautbois 8
Trompette 8

 

Vallière. Construit autour des années 1860 avec une traction mécanique cet orgue est de même facture (Abbé Clergeau) que celui de Felletin; le clavier est divisable pour compenser l'absence du deuxième clavier. Le buffet est pratiquement identique.
Il a été restauré en 1984 par François Delhumeau, facteur à La Chaussade.
Cet petit instrument est très bien adapté aux musiques du XIXème siècle.

Grand Orgue

Prestant 4
Flûte Bois/Métal 8
Bourdon 8
Nasard 2 2/3
Doublette 2
Clairon/Hautbois 8

 

Anzème. Dans le bras gauche du transept de l'église d'orgue s'abîme un orgue datant du XIXème siècle dit "positif" (que l'on pose).

Cet instrument, assez rare de nos jours, est de la taille d'un harmonium; par dérision, l'appellent parfois une "boîte à savon". Les tuyaux sont tassés et coudés pour tenir dans un espace réduit.
Espérons qu'une action urgante soit entreprise pour la restauration et la sauvegarde de cet instrument unique en Creuse.

Positif

 

 

Ahun. Le "faux orgue" de l'église d'Ahun reste un mystère. Il se réduit à un buffet de tribune meublé de tuyaux en trompe-l'oeil.

Le buffet a-t-il été posé pour compléter le superbe ensemble de boiseries du XVIIème siècle ?
La construction s'est-elle arrêtée faute de moyens ou suite à un quelconque évènement ?
La mécanique et les tuyaux ont-ils disparus: incendie, déménagement dans une autre église ?

Pour l'instant, nos questions restent sans réponse.

 

Bénévent l'Abbaye. La superbe abbatiale du XIIème siècle méritait un orgue. Depuis quelques mois déjà, divers concerts sont organisés et une souscription est ouverte pour doter le superbe vaisseau roman d'un orgue liturgique.

Depuis le 6 février 2007, le projet est porté par une nouvelle association: "Musique et Orgue à l'Abbaye".

Bon vent au nouvel instrument.

A bientôt donc, pour en savoir plus.


Pour en savoir plus sur les orgues de Creuse et sur les animations (concerts, visites) organisées autour de ces instruments, ne manquez de vous rendre sur le site de l'association culturelle "Orgues en Marche".


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Rédaction:
Alain Tixier
(août 2003 - avril 2007)


Crédit photos: Christine et Alain Tixier, Association des Amis de l'Orgue d'Aubusson (encreuse.com/asso/orgue/), anonyme (Orgue de Pontaumur)

Transcription pour synthétiseur et interprétation du Prélude en Mi mineur de J-S.Bach (BWV 548): A.Tixier.

Remerciements à Odile Aurengo, organiste et présidente des Amis de l'Orgue de Guéret pour ses précieux renseignements.