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La qualité de l'eau potable s'améliore mais la pollution par les nitrates demeurent
Par Sylvia Zappi
Le Monde - Lundi 19 octobre 1998

 

Si la qualité des eaux d'alimentation s'améliore sur l'ensemble du territoire, 14% du volume total d'eau produite par les captages ne sont pas conformes à la réglementation européenne et, en 1995, 65% des eaux distribuées dans les communes de plus de 5000 habitants ont dépassé les normes autorisées. Le bilan sur la " qualité des eaux d'alimentation 1993 - 1994 - 1995" rendu public vendredi 16 octobre par le secrétariat d'Etat à la santé, a été établi par la direction générale de la santé à partir des 300.000 prélèvements annuels effectués par les directions départementales de l'action sanitaire et sociale ( Ddass).

Deux problèmes inquiètent particulièrement les autorités sanitaires : les pollutions microbiennes dues à la présence de micro-organismes pathogènes et l'augmentation des teneurs en nitrates. La teneur trop élevée des eaux potables en nitrates a déjà valu à la France deux procédures d'infraction de la comission européenne : une saisine pour la région Bretagne et une mise en demeure pour le département de l'Eure.

Concernant la qualité des eaux de surface utilisées pour la consommation humaine via les captages et prises d'eau directes ( 37% de l'eau potable), les nitrates sont décrits comme les principaux responsables de la pollution : 50 prises d'eau sur les 80 classées hors normes sont contaminées par les nitrates, soit 8% des eaux superficielles utilisées pour la production de l'eau potable. Cette pollution touche tout l'ouest de la France (Bretagne, pays de la Loire et Manche). Le phénomène frappe, par exemple, 17 captages dans les Côtes-d'Armor ( soit 75% des ressources) mais également 8 en Ille-et-Vilaine, 6 dans le Morbihan, 3 dans le Maine-et-Loire, 2 dans la Manche.

Les paramètres de non-conformité affectant les réseaux de distribution d'eau potable sont plus variés.

Risque bactérien. C'est le risque sanitaire le plus fréquent. 638 unités de distribution ont été touchées au moins une fois en 1995, soit une population de 17 millions de personnes. Plus grave : 137 unités connaissent une contaminaion répétée. Pour 24 distributeurs " la situation est particulièrement préoccupante". Les cas les plus graves par leur durée ou leur concentration maximale ont été détectés dans l'Ardèche, la Haute-Loire, le Bas-Rhin, la Haute-Savoie, le Tarn, la Vienne, les Vosges et à la Martinique. Si ces pollutions semblent régresser lentement, les rapporteurs soulignent que " cette situation a fait peser un risque inacceptable pour la population".

Pesticides 5,3 millions de personnes en France ont consommé, en 1995, une eau non conforme à la norme européenne. Sur la période étudiée, 228 captages ont, en effet, dépassé les concentrations maximales admissibles pour les pesticides. Une grande majorité des dépassements se situent sur un quart nord-ouest de la France. L'atrazine, un désherbant utilisé dans la culture du maïs, touche ainsi de nombreuses régions agricoles, notamment la Basse-Normandie, les Pays de la Loire et la Bretagne. Pour la simazine, deuxième pesticide utilisé en France, les dépassements se situent surtout en Bretagne.

Nitrates " la situation (...) ne connaît pas d'amélioration significatives", selon le rapport. Avec 116 points de distribution contaminés, on estime à 1,4 million la population concernée. Surtout, l'analyse relève " des durées de dépassement importantes "avec 40 unités polluées plus de cent jours par an. Les concentrations les plus importantes concernent le Pas-de-Calais, mais également le Var, le Centre et la Haute-Garonne.

Aluminium Si la situation s'améliore au cours de la période étudiée, la pollution à l'aluminium concernait encore, en 1995, 1,3 milliion de buveurs d'eau du robinet. Le rapport souligne que si, dans certains cas, les dépassements observés sont d'origine accidentelle, dans environ la moitié des cas, il s'agit de dépassements relativement chroniques " avec des valeurs couramment voisines du triple " de la consommation maximale autorisée. les cas les plus marquants ont été constatés en Corrèze, dans les Côtes-d'Armor, la Creuse, le Finistère, la Loire, la Manche, la Meurthe-et-Moselle, l'Orne, la Vienne, à la martinique et en Guyane.

Le porc de Luc Guyau est déguisé
Par Marinette Roques, agricultrice, présidente de la coordination nationale contre les élevages porcins sur caillebotis
Le Monde - samedi 21 novembre


Du lard... ou du cochon? cette question m'est venue à l'esprit lorque j'ai lu le point de vue que Luc Guyau, président de la toute puissante Fédération nationale des syndicats d'esploitants agricoles ( FNSEA), a publié dans Le Monde ( 3 novembre). La crise porcine, écrit-il, est européenne et mondiale. Personne n'ignore, en effet, que les marchés sont saturés à tous les niveaux. Aussi M. Guyau se déclare-t-il ouvert "sans excès" ( on ne saurait être trop prudent !) à la maîtrise de la production.

Mais pourquoi, dans ces conditions, les représentants départementaux de la FNSEA continuent-ils dans de très nombreux départements, à inciter leurs adhérents à "faire du porc" ? Pourquoi les marchands d'aliments et les groupements de producteurs (ces derniers comptant nombre d'adhérents de la FNSEA) maintiennent-ils, sans que le syndicat de M. Guyau en dénonce la perversité, leurs aides aux candidats à l'installation de nouvelles porcheries : fournitures gratuites de plan-types, constitution de dossiers, assistance contentieuse, prêts à taux 0 pouvant aller jusqu'à 30% de l'investissement ? Pourquoi les préfets persistent-ils à accorder, aussi généreusement qu'ils l'ont toujours fait, des autorisations d'ouverture de porcheries industrielles, futures victimes de la prochaine crise ? La réponse de Luc Guyau est un petit chef-d'oeuvre d'habileté :"Des normes existent; si certains les jugent trop laxistes, la responsabilité en incombe au législateur, pas aux producteurs de porcs"... Il n'est hélas ! que trop vrai que ces normes, conçues pour protéger l'environnement contre des installations que la loi qualifiait de " dangereuses, incommodes et insalubres" ont été si libéralement définies par les gouvernements successifs que l'esprit de la loi en a été trahi. Résultat : la Bretagne est abominablement polluée.

Et, dans quelques région que ce soit, il ne faudra pas s'étonner des désastres écologiques tant qu'on pourra, avec la bénédiction des pouvoirs publics, installer une porcherie industrielle avec soufflerie extérieure et production intensive de lisier à 100 mètres d'une habitation; épandre du lisier à 35 mètres d'un cours d'eau ; créer une porcherie sans enquête publique ni étude d'impact dès lors que sa capacité n'excède pas quatre cent cinquante porcs de plus de trente kilos ( soit, avec les porcelets, une moyenne de quinze cent porcs). Il y a trois ans, la distance dite " de protection" des habitations ont même été réduites dans certains cas à 50 mètres pour l'implantation de la porcherie et à 10 mètres pour l'épandage du lisier !

En dépit de ce traitement de faveur réservé à leurs projets, de nombreux éleveurs de porcs ont entrepris leur activité en infraction à la loi, la plupart d'entre eux en totale impunité : non seulement l'état ne les poursuit pas mais, magnanime, il les aide financièrement à se mettre en règle ! Tel est l'objet du plan de maîtrise des pollutions agricoles. Selon M. Guyau, il serait actuellement freiné, faute d'un financement suffisant : l'Etat, les collectivités locales et l'Agence de l'eau assument pourtant les deux tiers de la dépense, et l'exploitant bénéficie en prime du pardon de l'infraction commise ! Ce programme, en application depuis quatre ans, a coûté et va coûter des milliards aux contribuables pour aider des contrevenants à la loi. Sans résultat tangible sur l'environnement, puisque le nombre de porcheries continue à augmenter ! Que la responsabilité de ce laxisme généralisé incombe aux gouvernements, soit. Mais qui pourrait affirmer sans hypocrisie que le syndicat agricole majoritaire, qui prétend cogérer l'agriculture avec l'Etat, n'y est pour rien ?

Il faut aussi rappeler les sommes que l'Union européenne a consacrées il y a peu à l'abattage de huit millions d'animaux pour éradiquer l'épidémie de peste porcine; il faudrait aussi inclure les dépenses importantes que vont coûter maintenant à l'Union le stockage des excédents et le montant des artifices financiers - restitution ou aide alimentairee - par lesquels on va expédier nos porcs aux Russes, qui ne peuvent pas les payer et ne souhaitent d'ailleurs pas ce dumping qui achève de détruire leur propre agriculture. C'est ce que Luc Guyau appelle pudiquement " saisir toutes les opportunités sur le marché russe"! Il faudrait enfin ajouter les subventions que départements et régions continuent, en dépit de la crise, à dispenser aux installations de nouvelles porcheries.

Peu de choses, estime M; Guyau, "au regard de la richesse et des emplois de la filière porcine". S'agissant des emplois, on peut en douter: depuis trente ans, le productivisme agricole a détruit plus d'emplois qu'il n'en a créés. La question, en tout cas, vaut qu'on y regarde de plus près : dans cette intention, les cent quarante associations et fédérations, réparties dans cinquante départements, que regroupe notre Coordination nationale, ont demandé recemment aux groupes de l'Assemblée nationale la constitution d'une commission d'enquête. Nous ne doutons pas que M. Guyau, fidèle au souci dont il se réclame de "clarifier le débat", appuiera notre demande de toute la force dont son syndicat est capable...


Un article sur la coordination nationale
Christophe Labbé et Olivia Recasens
Le monde - 5 décembre 1998


Depuis un an, la Coordination nationale contre les porcheries industrielles, qui regroupe 180 associations dans soixante départements, mène son combat sur le Web. Le mouvement naît en juin 1994, à Barrais-Bussoles, un petit village de l'Allier, quand Marinette Roques, femme d'agriculteur, part en guerre contre un groupe agro-alimentaire qui voulait installer dans sa commune une gigantesque porcherie industrielle : " avec une poignée d'amis, j'ai fondé une association et nous avons fini par obtenir l'annulation du permis de construire ".
Aujourd'hui, Mme Roques est présidente de la Coordination. Après cette première victoire, la résistance contre les projets de porcherie industrielles dans le département s'organise. D'autres associations se créent et le combat déborde vite les frontières de l'Allier. " Internet nous permet de coordonner la lutte et d'alerter l'opinion sur les risques pour la santé et l'environnement qu'engendre l'élevage intensif de porcs. Le premier problème est l'épandage du lisier, qui pollue en nitrates l'eau du robinet ", explique Pascal Jallet, administrateur du site. Ce passionné de pêche, qui a rejoint la coordination pour défendre la qualité de l'eau des rivières, reçoit chaque semaine plusieurs appels à l'aide d'internautes confrontés à un projet d'implantation près de chez eux : " je les mets en contact avec l'association la plus proche, ou je les conseille pour qu'ils en créent une. "
Le site affiche également une liste de documents à commander par courrier électronique : " il s'agit aussi bien d'exemples de recours juridiques devant le tribunal administratif pour annuler le permis de construire que d'études scientifiques sur l'impact sanitaire des nitrates ". D'après la coordination, la moitié des porcheries industrielles implantées en France seraient dans l'illégalité.
Comme on n'est jamais assez prudents, les informations stratégiques sur le mouvement ne sont pas mises en ligne, pour " ne pas fournir au lobby porcin des renseignements dont il pourrait faire mauvais usage ". De même, la rubrique du courrier des adhérents n'est accessible qu'aux détenteurs d'un mot de passe. Dans sa croisade, la Coordination vient de se trouver un nouvel allié, dont elle a mis le site en lien : l'Association de protection mondiale des animaux de ferme. Cette fois, il s'agit de " porter le fer sur un thème occulté par le système productiviste, celui du respect des animaux ".

Voir le site de l'Association de protection mondiale des animaux de ferme


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