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L'avenir de la qualité de la viande de porc et la satisfaction de nos papilles passeront par une sélection des animaux assistée par marqueurs génétiques, conjuguée à une informatique de plus en plus performante.

Paula Ceccaldi

le cochon est roi de la planète quand il s'agit de sa chair. Elle est la plus consommée de par le monde. Plus du tiers de la consommation mondiale de viande, est d'origine porcine. En France, cette proportion atteint les 38 %, avec 2,088 millions de tonnes consommées (viande fraîche et salaisons), soit 36,5 kilogrammes par habitant et par an ; en Europe, elle frôle les 45%. Le cheptel français compte 1,3 million de truies qui sèvrent 26 millions de porcelets par an, abattus dès qu'ils atteignent le poids idéal de 105 kilogrammes. Cette filière alimentaire est depuis longtemps gérée comme une industrie de transformation, à la hauteur des enjeux économiques qu'elle représente.

Parmi les grandes espèces d'élevage, le porc a la particularité d'être surtout issu de croisements : 91 % des truies parentales et 96% des porcs abattus sont les produits de croisements raisonnés entre races sélectionnées à cet effet. On choisit les meilleurs reproducteurs chez les races pures, en détectant au mieux les caractères intéressants, et on les croise afin d'obtenir en bout de chaîne un animal adapté à la fois à la demande des consommateurs et aux contraintes des industriels transformateurs, tout en bénéficiant, côté génétique, des effets d'hétérosis (ou vigueur hybride) et de complémentarité entre les races.

La sélection des animaux s'est faite jusqu'ici par des méthodes de génétique quantitative classique. Les critères de reproduction, la vitesse de croissance, l'efficacité alimentaire, la composition corporelle et le rendement technologique de la viande à la cuisson sont pris en compte dans le schéma de sélection, le tout étant relavé par un puissant outil informatique (1). Ainsi, en France, le cheptel porcin est géré au niveau national. Mais ces schémas de sélection, qui s'intéressent presque exclusivement à l'élevage intensif, ne font appel qu'à un petit nombre de races, moins de huit, en regard des 360 races locales répertoriées dans le monde.

Dans l'élevage industriel moderne, 90 % des truies parentales sont des truies croisées de Large White et de Landcrace. Cette formule unique, conçue dans les années soixante, a montré ses limites techniques dans un contexte international compétitif. Même si l'on dispose actuellement d'estimations très précises de l'héritabilité des grands caractères économiques, la sélection des meilleurs reproducteurs se fait sans que l'on connaisse précisément la nature et la localisation des gènes intervenant sur ces critères. Uinformatique supplée à ces carences et a permis à la sélection, fondée sur les hypothèses de la génétique quantitative classique, de connaître des avancées spectaculaires avant l'avènement de la biologie moléculaire. Ainsi, la méthode statistique, dite du " BLUP modèle animal" (best linear unbiaised prédiction), grâce à sa puissance, prend en compte toute l'information génétique disponible sur le candidat à la sélection, les animaux qui lui sont apparentés (frères et sœurs ; oncles, tantes et cousins) et corrige aussi les variations de milieu : l'élevage, la saison, la bande, le numéro de portée... Combinée à l'insémination artificielle, qui a rnultiplié les connexions génétiques entre troupeaux, cet outil fait que le candidat à la sélection n'est plus classé uniquement par rapport a ses contemporains de la même bande. Mais il est aussi classé dans l'espace, par rapport à l'ensemble des troupeaux de la même race, et dans le temps par rapport aux animaux contrôlés à différentes périodes. Les découvertes de la biologie moléculaire et la cartographie du génome porcin vont venir s'intégrer dans ce dispositif. Dans un avenir relativement proche, la sélection porcine sera - assistée par marqueurs génétiques ".

Le porc en carte, la Pig Map

La cartographie du génome, si elle ne va pas carrément révolutionner la sélection porcine, va lui permettre d'affiner le tir en prenant en compte de nouvelles informations (2, 3). Le génome du porc compte 19 paires de chromosomes (y compris sexuels). La combinaison des résultats de l'équipe américaine du Meat Animal Research Center (Nébraska, États-Unis) et de ceux obtenus dans le cadre du projet européen Pig Map (Programme international de géné-tique moléculaire appliquée au porc, BRIDGE, 1990-1994) a permis de disposer aujourd'hui de quelque1 500 marqueurs génétiques bien répartis sur les chromosomes porcins. Des études de cytométrie ont précisé la taille respective des différents chromosomes et évalué la taille globale du génome porcin à 2,8 milliards de paires de bases.

Un nombre important de marqueurs a d'ores et déjà été localisé physiquement mais plus de 25 % du génome reste encore mal couvert. Le projet Pig Map a été prolongé, et l'objectif européen est maintenant d'utiliser un maillage de marqueurs distants de 20 centimorgans qui couvre l'ensemble du génome et qui permet la détection et la localisation des gènes d'intérêt majeur pour l'élevage.

Ce que l'on savait déjà faire avec des gènes majeurs à effets quantitatifs dans la sélection porcine, mis en évidence par des études statistiques sur des familles, va l'être maintenant en sachant où ils sont situés physiquement sur les chromosomes. Plusieurs gènes majeurs ont déjà été détectés chez le porc et leur loci identifiés. Tel le gène Hal de la sensibilité à l'halothane, responsable du syndrome de stress, la principale cause de décès brutal chez le porc quand il se trouve dans de mauvaises conditions d'élevage ou de transport. Sa localisation, en 1988, sur le chromosome 6, et la découverte, en 1991, de la mutation en cause dans ce syndrome ont rendu possible la détection des hétérozygotes porteurs de l'anomalie avec un test de dépistage génétique. Ce typage moléculaire a permis d'éliminer ce gène dans les races maternelles. Grâce à ces nouveaux outils, il n'existe pratiquement plus d'animaux sensibles au stress dans les élevages.

Autre gène d'importance, le gène RN (rendement napole), localisé sur le chromosome 15, est associé à la qualité de la viande. Son allèle RN- est en effet tenu pour responsable du syndrome de la " viande acide " qui provoque, entre autres, une diminution de 8 % du rendement technologique de la fabrication du jambon cuit. Mais aujourd'hui, c'est le gène MU, impliqué dans le pourcentage de muscle de l'animal, qui est l'objet de recherches. Quant au gène esr (estrogen receptor), dont l'effet sur la prolificité des truies a été postulé en 1994 à 1'universïté de l'Iowa, après vérification de sa ségrégation dans deux populations Large White françaises et malgré une fréquence favorable de l'allèle de 50 %, il n 'exerce pas l'effet attendu sur la prolificité. Il jouerait donc plutôt un rôle de marqueur d'un autre gène situé dans la même zone chromosomique.

D'autres recherches portent sur la résistance aux colibacilloses, l'intersexualité (gène récessif autosomique à expressivité variable) et le dépistage des aberrations chromosomiques de structure, dont les plus connues sont les translocations réciproques responsables d'une baisse de la prolificité de 40 à 50 %. La constitution d'une banque d'ADN, sous la responsabilité de l'Inra, et les données accumulées sur les critères d'intérêt zootechnique (production, reproduction, comportement ... ) vont permettre une recherche des QTL.

L'élevage intensif du porc fait appel à moins de 8 races

chez 500 à 1 000 porcs de deuxième génération, issus de croisement entre la race chinoise Meishan et le Large White, spécialement produits et contrôlés aux domaines du Magneraud et de Rouillé (Poitou-Charentes) qui dépendent de l'Inra. Selon Christian Legault, directeur de recherche à la Station de génétique quantitative appliquée de l'Inra (Jouy-en-Josas) " Ce qui est actuellement fait Pour les gènes individuels considérés comme majeurs en sélection animale pourra l'être ensuite pour d'autres gènes plus discrets et ce, dans les trois à quatre années à venir. On affinera ainsi de plus en plus le système. Inéluctablement, la sélection deviendra assistée par marqueurs génétiques, même s'il faut encore résoudre des problèmes d'ordre méthodologique. De nouveaux programmes d'évaluation des animaux reproducteurs intégrant ces nouvelles données seront mis en place d'ici à l'an 2000. "

> L'insémination artificielle

S'il est un secteur où les effets de la biologie moléculaire vont avoir un retentissement, c'est bien celui de l'insémination artificielle. Après une traversée du désert qui aura duré vingt-cinq ans, victime des lobbies des éleveurs de verrats, l'insémination artificielle dans l'élevage porcin décolle en 1985. Les 3 % de parts de marché qu'elle occupait alors sont devenus 55 % en 1996. Et les experts estiment qu'elle dépassera les 70 % d'ici à l'an 2000.
Les marchands de verrats se sont impliqués dans la production de sperme frais ; l'insémination artificielle les a encouragés à produire des individus de qualité et eux, qui ont si longtemps traîné les pieds, s'y retrouvent. Avec une carte détaillée du génome porcin, ils vont pouvoir encore améliorer la valeur commerciale de la semence de leurs verrats. Quant à la possibilité de trier les gamètes mâles ou femelles, aucune technique n'est encore vraiment au point.

> La filière chinoise

La prolificité pourrait faire partie des premiers bénéficiaires de la connaissance du génome porcin. Pour un éleveur, ce qui compte c'est le nombre de porcelets sevrés produits par an et par truie. C'est ce qu'on appelle la productivité numérique. Elle compte pour 50 % dans les fluctuations de la rentabilité et intervient pour 35 % dans l'économie de l'élevage (4). La prolificité, ou taille de la portée à la naissance (nombre de porcelets nés), est sans conteste le critère le plus important. Ce caractère, peu héritable et peu repérable, était difficile à améliorer génétiquement par la sélection classique. Une méthode originale, basée sur la détection informatisée à grande échelle des truies de prolificité exceptionnelle, a conduit à la création de lignées de verrats dits hvperprolifiques " destinés à l'insémination artificielle. La généralisation de cette technique apporte un progrès complémentaire de l'ordre de deux porcelets par truie et par an, s'ajoutant aux six porcelets supplémentaires dus à l'amélioration des techniques d'élevage entre 1970 et 1994.

Avec l'introduction des races chinoises, ce résultat pourrait être encore augmenté. L'Inra s'est lancé dans cette voie dans les années quatre-vingt. Des lignées synthétiques sino-européennes ont ainsi été constituées, au terme d'une sélection en faveur de la croissance et du pourcentage de muscle qui est exercée chez les produits du croisement entre une race européenne et une race chinoise (Meishan ou jiaxing), retenue pour ses qualités de rusticité, de prolificité et la qualité organoleptique de sa viande.

La lignée Tiasmelan a été créée dès 1984, en collaboration avec la société bretonne Pen Ar Lan (Ille-etVilaine). La petite fille de cette lignée, au huitième chinoise, est commercialisée avec succès depuis 1994. Des 2 000 cochettes vendues alors, on est passé à '17 000 en 1995, et 16 000 à 18 000 sont prévues pour 1996. La barre des 50 000 pourrait être franchie en 1998. Les progrès dans la connaissance du génome viendront confirmer le bien-fondé de ces croisements. D'ailleurs, certains estiment que 50 % des truies parentales auront des gènes chinois vers le début du prochain millénaire.

Quant aux races locales, gasconne, corse, limousine ou basque.... elles ne représentent plus pour l'instant que moins de 1 % de la production porcine française, viande fraîche et salaison comprises. Cette dernière est surtout orientée vers les produits de terroir et de haute qualité. Mais on peut imaginer que l'identification des gènes contrôlant ce qui fait la qualité de ces races régionales, rusticité des animaux, flaveur de la viande..., permettrait des croisements intéressants. Elles pourraient ainsi connaître la progression du poulet labellisé qui représente, contre toute attente, 20 % de la production totale.

> Pas de transgenèse pour la viande

En ce qui concerne la viande de porc, les retombées de la biologie moléculaire n'iront pas jusqu'à la transgenèse. Excepté l'acquisition d'une éventuelle résistance aux maladies par transfert de gène, les inconvénients risquent d'être beaucoup plus grands que les bénéfices pour la filière. Le souci des spécialistes est que l'ïmage de marque du porc auprès du consommateur soit ternie par ce que ce dernier peut considérer comme des acrobaties biologiques. Le souvenir de l'épisode du veau aux hormones reste vivace, et la consommation de sa chair n'a jamais retrouvé son niveau antérieur.

(1) C. Legault (1995) l'impact de la génétique en production porcine. St dominique (république dominicaine). Compte-rendu du second comité interagraire, Inrai, Jouy-en-Josas
(2) B. Bodet ( 1994) Le porc à la sauce Biotech Biofutur 137, 31-34.
(3) L. Ollivier et ai (1995) La cartographie du génome porcin. Journées recherche porcine en France 27, 127-134

(4) C Legault (1996) Inra 50 ans de recherches en productions animales. Éditions Inra, Paris, pp 41-55. Article paru dans BIOFUTUR 160 90ctobre 1996

 




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