La fabrication du cidre d’antan  par Yann Fournier

Yann Fournier, ancien maître de conférences de l’Université de Paris et retraité à 700 m d’altitude au village de Traleprat commune de Magnat l’Etrange, a retrouvé la fabrication artisanale du cidre d’antan allant du doux jusqu’à de l’ultra sec millésimé; cidre qu’il a perfectionné en y adjoignant une fabrication de jus de pomme pasteurisé pour la plus grande joie de ses petits enfants et des plus grands.


Yann Fournier livre à "enCreuse" ses grands et petits secrets.


Les préliminaires :

Les pommes sont ramassées principalement vers la Toussaint avant les grandes gelées.
Nos anciens plantaient différentes variétés de pommes de façon à ce que leur conservation s’échelonne tout le long de l’hiver " d’une pomme à l’autre " jusqu’aux pommes de moisson, les pommes d’or de la mi-août.

Les pommes du pays sont plus ou moins sucrées suivant l’espèce et l’ensoleillement.

Les opérations qui suivent ont lieu au frais dans la fourniau ; c’est un ancien bâtiment qui abritait non seulement un four à pain mais aussi un saloir des plus anciens tout en pierre et une de ces vieilles cheminées du pays. Depuis le sol a été cimenté et l’électricité installée.

Les pommes sont conservées dans des cageots après triage des pommes abîmées avec enlèvement des feuilles, de l’herbe et des quelques traces de terre encore accolées.

Les cageots sont empilés de la façon suivante : le premier est vide, à l’envers et recouvert d’un plastique assez rigide dépassant horizontalement d’une dizaine de cm de chaque côté ; le dernier est recouvert également d’un plastique et d’un cageot vide ; les piles sont écartées de tout ce qui permettrait aux rats et autres souris de sauter dans les cageots.

Bien que l’on commence à presser dès le ramassage, le gros du pressage se fait vers la Noël.


L’expression du jus :

Les pommes sont essuyées une à une et les parties abîmées sont éliminées.
C’est la phase la plus longue et la plus fastidieuse.
Ensuite les pommes sont râpées dans une espèce de grande râpe à fromage en bois constitué d’un rouleau en bois clouté de 16 cm de diamètre et de 36 cm de long surmonté d’une sorte d’entonnoir en hêtre par où l’on fait glisser les pommes.

La pulpe recueillie dans une bassine en bois est ensuite pressée dans un petit pressoir à 3 toiles carrées, de 80 cm de côté, découpées dans un de ces vieux draps de chanvre autrefois tissés au pays. Le tout est placé entre des claies et surmonté de cales en hêtre et d’un petit cric hydraulique de 3 tonnes bien suffisant. En effet, il ne faut pas trop presser la pulpe surtout au début pour éviter le déchirement des toiles et en fin de pressage pour éviter de récupérer le jus exprimé des queues et des pépins qui donnent un mauvais goût.

Le pressoir donne environ 25 litres de jus à chaque expression.


Petit secret d’un bon jus de pommes pasteurisé, doux et sans agressivité :

La pasteurisation se fait dans une casse ou chaudière de paysan de 104 litres dont le fond est à cette occasion rendu plat par un caillebotis en hêtre. L’horizontalité du caillebotis est simplement déterminée par un peu d’eau au fond de la casse.

La casse comprend un foyer des plus efficaces ce qui montre que nos anciens savaient travailler à l’économie et avec ingéniosité.


De 25 à 30 bouteilles sont installées à chaque pasteurisation. Il s’agit de bouteilles à jus de fruit dont la capsule supporte bien la pasteurisation.
Les bouteilles sont remplies 8 heures à l’avance ; ainsi, s’il reste des levures " naturelles ", celles-ci ont le temps de se développer et seront tuées lors de la pasteurisation.
Au cours de l’installation, on vérifie les bouteilles une à une pour s’assurer que les capsules sont à peine serrées.

Une fois les bouteilles installées, on remplit la casse d’eau jusqu’à ce que les capsules soient noyées.

Lorsque l’eau de la casse atteint 75°C, le jus dans les bouteilles a atteint 70°C : il est pasteurisé. On enlève alors le feu, les braises et le cendrier.


Lorsque la température est redescendue à 65°C, on sort les bouteilles de la casse une à une. A chaque sortie de bouteille, on en profite pour desserrer délicatement chaque capsule afin de laisser échapper un trop de pression éventuelle puis on referme aussitôt de façon énergique.
La bouteille est ensuite agitée près de l’oreille pour déceler la moindre fuite éventuelle dûe à une capsule défaillante. Dans ce cas, des plus rares, la bouteille est " retirée ".

Précaution de bon aloi :

Si l’eau de la casse dépasse les 75°C le jus produit prend un goût de compote ce qui n’est pas très agréable.


Jusqu’à la fabrication d’un cidre ultra sec et millésimé :

Le jus obtenu à la sortie du pressoir titre aux environs de 1055 grammes par litre.
Le jus est placé dans un tonneau sans levure, le jus ayant les siennes de façon naturelle. Ces levures naturelles sont normalement présentes sur les pommes. Ce sont elles qui donnent bon goût au cidre.

Elles se développent à froid ; il ne faut donc jamais mettre le tonneau à fermenter dans une étable avec les animaux.

L’air étant l’ennemi du cidre, le tonneau doit être toujours tenu plein ou " ouillé " pour éviter la fermentation acétique.

Au bout de 3 à 4 jours, la première fermentation " dite tumultueuse " se d’éclanche.
Une sorte de boudin de mousse sort de la bonde.

Une deuxième fermentation suit ; elle est beaucoup plus lente.
Afin de ne pas donner un mauvais goût au cidre, il convient de peser régulièrement le cidre et de "ouiller" le tonneau avec du jus pasteurisé.

Lorsque la densité est descendue à 1025 grammes par litre, on soutire le cidre en fabrication dans un tonneau plus petit à l’aide d’un tuyau attaché à 3 cm de l’extrémité d’une latte en hêtre que l’on descend, très lentement afin de ne pas remuer le cidre, jusqu’à toucher le fond.

L’opération de soutirage ralentit la fermentation qui continue à faire baisser la densité.
Lorsque la densité du cidre atteint les 1018 grammes par litre, on met le cidre en bouteilles.

Le tonneau est alors muni d’une cannelle et les bouteilles, de type " bouteille de Champagne ", sont remplies jusqu’à 5 cm du goulot et bouchées immédiatement avec un bouchon en plastique.

Le lendemain, les bouchons sont sertis avec des fils de fers spéciaux ou des muselets.

Ce cidre à 1018 grammes par litre est doux et se marie magnifiquement avec des crêpes de sarrasin, le pain sans levure des pauvres d’antan, qui se cuisait dans des tuiles, sorte de poêle en fonte épaisse de 6 mm, d’un diamètre de 35 cm utile et relevé sur le bord d’un petit centimètre.

Au-dessous d’une densité de 1018 grammes par litre, le cidre devient de plus en plus sec et peut aller jusqu’à l’ultra sec pour les amateurs avertis.

Le cidre s’ouvre d’autant mieux qu’il a été soutiré avec moult précautions et qu’il a été bien refroidi. Une fois la bouteille ouverte, il faut servir 6 verres et ne relever la bouteille que lorsqu’il ne reste pratiquement plus que le fond.
Il titre en moyenne ses 5°.

Contrairement à la réputation du cidre, ce cidre " naturel " comme on le fabriquait d’antan se conserve très bien de longues années; L’expérience a été réalisée à Traleprat sur des bouteilles de 17 ans d’age, un régal.
Le petit secret de leur longévité réside dans leur conservation " bouteilles debout ".

Propos recueillis par Jean Jacquemin


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